Il n'aura pas fallu bien longtemps pour que la croûte ne se fissure. En l'espace de 3 jours la gangue de nacre protectrice méthodiquement accumulée par couches successives durant les 33 premières années de mon existence, européennement, françaisement, religieusement lisse, n'aura pas résisté à la puissance de l'environnement local, à son implantation en terre ancienne. Non pas qu'il y ait ici une violence particulière qui m'aurait asséné un méchant coup dès mon arrivée à l'aéroport, fracassant d'un geste mon bagage culturel, et confirmant les inquiétudes et mises en garde d'avant départ. Mais plutôt que la contingence, ici à Douala, de la richesse d'une terre, des gens qui la peuplent, et d'un climat tout équatorial, est propice et suffisante pour faire germer n'importe quoi.
Pourtant je le jure, j'ai tenté de résister, me crispant fermement sur les poignées de certitudes, m'armant tout de go de ma méfiance la plus hermétique...mais de l'intérieur est venue une vibration, une voix grave, un frisson d'infra-basse. (Non je n'ai pas encore eu de crise de palu, il y a moins de moustiques ici qu'en Lettonie !). L'émail est très dur mais il pète sous l'effet de certaines fréquences, et part en écailles laissant entrer ce qu'il faut d'air et de lumière pour que le germe sorte. Ce que j'essaye de dire vous le comprendriez tout de suite si vous pouviez comme moi comparer votre petit ficus hollandais en pot, vert fluo, acheté chez Ikea avec ceux qui poussent majestueusement ici, en liberté dans la mangrove.
La ville, le pays, je m'hasarderais à dire le continent : l'Afrique, est le lieu où s'expriment les humeurs du corps, les humeurs de l'homme. Par pitié résistez au réflexe pavlovien, qui vous ferait instantanément, à la lecture de cette phrase, monter aux narines une odeur pestilentielle, et au fond de la gorge l'amorce du haut le coeur, les humeurs du corps ne se limitent pas à la merde !
Je parle de substances à la composition moléculaire d'une rare complexité, de cocktails d'informations organiques directement adressés aux sens, et que les sens comprennent lorsque l'on a pris soin de les mettre sur la position "on". Je parle de liqueurs biochimiques qu'aucun ordinateur, si puissant soit-il, n'aura jamais le moyen de résumer en suites numériques. Je parle de concentrations de phéromones si essentielles qu'elles vous ramènent à votre préhistoire par un miracle que la mécanique de la raison ne parvient pas à m'expliquer.
Connaissez vous le goût de la tomate, de la banane ou de l'orange ? Savez vous décrypter l'odeur d'une peau, le relief d'un visage, la profondeur d'un regard ? Avez vous déjà caressé la fibre d'un morceau de bois, le tissé d'une étoffe ? Je me dis que chaque être humain devrait faire un stage en Afrique pour y apprendre ces choses qui semblent avoir ici une profondeur incomparables.
Depuis que je suis arrivé au Cameroun j'ai d'abord vu des mouches d'aéroport, pas méchantes mais pénibles, à qui l'on avait pas expliqué que l'argent n'a pas d'odeur et qui s'agglutinaient sur le mirage de l'or blanc, en vain ou presque.
Dans ce lieu de l'Internationnal j'ai vu le carnaval de l'uniforme, ou les panoplies sont bradées mais où sans conteste l'habit fait le moine.
J'ai recontré et partagé le repas d'un couple princier dans leur palais de rèves, d'histoires et de cultures, en savourant le concert inédit de Miles Davis en buff avec mon premier orage nocturne. J'ai vu l'Histoire qu'ils sont en train d'écrire, un puzzle raccommodé avec patience et ténacité pour que les enfants sachent d'où ils sont venus et gardent leur fierté.
J'ai vu dans leur jardin une foule de gros escargots coprophages se rendre au vernissage d'une exposition de sculptures permanentes.
Dans ce même lieu, je me suis dit qu'il faudrait absolument organiser la rencontre de Depoutot et de Sumégné.
J'ai suis resté au chevet d'une blatte agonisante qui m'a dit le prix de la vie. Au petit matin la mort n'avait toujours pas eu le dessus.
J'ai parcouru 6000 miles pour venir savourer une bonne Mutzig fraîche comme la banquise, exclusivité Camerounaise brassée à Douala s'il vous plaît.
J'ai senti la couleur de ma peau et compris l'injustice d'être à tout jamais l'étranger.
J'ai été agacé, plusieurs heures durant, par un petit morceau de zébu bien coincé entre mes dents.
J'ai assisté à mon premier vernissage à Doual'art et écouté avec intérêt les problématiques de l'artiste, Arman Mekoa.
J'ai rencontré un intellectuel orfèvre des mots : Lionel Manga, séduisant séducteur, redoutable penseur que le temps ne semble pas atteindre.
J'ai vu le mont Cameroun, le nez dans le coton qui sniffait les nuages.
J'ai vu une forêt d'hévéas bien peignée, avec la raie au milieu et les petits gobelets en bandoulière. Je me suis rendu à Limbé en compagnie de Philippe Naegel et j'ai compris 2 choses en dansant au relief de la chaussée : il est des régions où il est stupide de faire des routes en bitumes, et il est des coins du monde où rouler en 4X4 a un sens.
J'ai pris racine pendant plusieurs heures, sans bouger, sur une plage au bon milieu d'un village de pêcheur, tâche blanche perdue sur le sable noir de Limbé. Là, j'ai vu des enfants qui n'ont pas besoin d'associer leur nom à une marque de hamburger pour être les plus grands joueurs de football de la planète. Même le ballon n'avait plus d'air !
J'ai vu la fumée s'élever au même moment de toutes les maisons du village, et donner au passage son goût au poisson. J'ai vu le ballet de jeunes hommes tirant de lourdes charrettes remplies de bois et traversant un bras de mer comme si de rien était, pour alimenter les foyers. J'ai entendu le chant des hommes à l'ouvrage en fond de cale.
J'ai vu pour la première fois un pêcheur lancer son filet et celui ci se déployer avec la grâce d'une méduse.
J'ai suscité la curiosité...et le dialogue est venu en gant et bottes de caoutchouc, rencontre du troisième type, un pêcheur celui là, ensemble et en anglais nous avons philosophé, qui l'eût cru ? Je n'ai pas pu m'empêcher d'être envahi de tristesse en pensant à l'arrivée prochaine et vivement souhaitée de hordes de touristes cannibales dont je ne représente que l'avant goût discret. J'ai cru voir le village de pêcheur rasé par le gros promoteur du futur Holliday Inn, c'est vraiment ça l'espoir pour ces gens ? J'ai retrouvé le sourire en voyant sous mes yeux jaillir, entre deux maisons d'un marron bois et tôles, une grappe de petits écoliers bleu roi qui se déversait sagement et harmonieusement, comme de l'eau dans la perspective de mon paysage. J'ai vu l'espoir, j'ai compris le combat de Marilyn et de Didier. J'ai vu de loin la vie qui coulait en eux et la couleur bleue, éclatante de vérité m'a fait monter au nez les vapeurs d'huile et de térébenthine. Je n'ai pu prendre aucune photo de ce que je vous raconte, ce que je vous donne là, je ne l'ai pas volé.
Sur le chemin du retour nous nous sommes arrêtés au bord de la route où j'ai goûté ma première orange verte chauffée au soleil. Puis à 16h00 nous nous sommes rendu en taxi à l'autre bout de Douala, chez Tonleu le ferronier, le meilleur m'a t-on dit, avec Achille, Lionel ,et l'artiste Koko Komégné pour y voir son oeuvre presque achevée. L'émotion était palpable, j'ai adoré. Ils ont palabré et se sont entendus, nous avons ensuite partagé une bière ou deux en mangeant des cacahouètes et des prunes, fruit étrange, doux-amer, braisé au feu qui ressemble à une petite pomme de terre violette et qui possède un noyau énorme, je ne peux pas dire que j'ai adoré mais j'ai senti en écoutant Lionel que cet oléagineux me ferait le plus grand bien...effectivement. Nous avons parlé politique, j'ai beaucoup écouté, il y avait de la sagesse dans leurs paroles. Nous avons évoqué gravement la tragédie de l'attentat pakistanais contre Benazir Bhutto. Nous avons ri à gorges déployées en parlant de Sarkozy petit président de 6 mois de pouvoir pas même capable de garder sa femme, (anecdote qui prend beaucoup de sens par ici).
Dans le taxi du retour j'ai assisté à un couché de soleil à la luminosité étrange changeant les rouge et les orange en fluo, le tout au bon milieu d'un embouteillage monstre mélangeant, dans un quartier d'échoppes et de marchés, sur une piste défoncée, piétons, motos et voitures, dans une harmonie sans code de la route, n'obéissant qu'à la dynamique des fluides, ça marche pas mal ! Le soir venu j'ai assisté à mon premier concert au CCF (centre culturel français), et j'ai été transporté par la voix et la sincérité superbe de Danielle Eog et de ses musiciens.
Ma mission ici s'annonce difficile mais passionnante, je n'ai pas encore vu le site de mon intervention, et tout reste à découvrir. Il m'aura quand même fallu 2 jours pour en digérer 3 et vous les retranscrire, ce qui explique ce silence sur la toile depuis mon arrivée. Un dicton dit ici : "L'homme blanc possède la montre, l'africain le temps", je ne suis pas africain mais je n'ai jamais eu de montre. Merci de votre patience, merci d'apporter vos commentaires, et merci de faire circuler l'info, pardon pour les fautes .
Ma mission ici s'annonce difficile mais passionnante, je n'ai pas encore vu le site de mon intervention, et tout reste à découvrir. Il m'aura quand même fallu 2 jours pour en digérer 3 et vous les retranscrire, ce qui explique ce silence sur la toile depuis mon arrivée. Un dicton dit ici : "L'homme blanc possède la montre, l'africain le temps", je ne suis pas africain mais je n'ai jamais eu de montre. Merci de votre patience, merci d'apporter vos commentaires, et merci de faire circuler l'info, pardon pour les fautes .
A bientôt
Frédéric
9 commentaires:
Ca valait le coup d'attendre !
Ton récit me plonge dans l'ambiance et me fait voyager à tes cotés
Bon vent,
Charles M
Ton message est superbement ecrit,
il donne envie de te rejoindre dans la seconde!! Merci pour ça!!
Par contre, tu nous renvois à notre petite routine Strasbourgeoise et pour ça, pas de merci du tout!!! lol!!
bonne route!
pit (plom)
Ca promet...
vivement la crise de palu !
René
Poétiquement passionnant
et réchauffant le coeur
Bisous
Renée
PS Mes compliments à Lionel MANGA
pour son article. A lire absolument.
Bonjour Frédéric,
votre récit me replonge tout plein dans les souvenirs de mon premier voyage en Afrique (au Sénégal, en février dernier) ... Impossible d'en revenir "indemne" !
Bonne continuation, bon courage,
bonnes pensées vers vous - et les vôtres, juste à côté !
Cordialement,
Ingeborg
Quelle joie de te lire. Mais, en fait, tu sais écrire, et même bien écrire. Je n'en doutais as, mais les lieux doivent être bénéfiques pour l'inspiration. Tout doit être inspirateur dans de telles circonstances. Profites en petit blanc, et fais en profiter le plus grand nombre autour de toi...
guix
salut fred,
dis donc on dirait que c'est le bonheur, en tout cas tu réchauffes l'ambiance qui ici est à la toussaint : changement d'heure et brouillard ...et vacances scolaires quand même! C'est super agréable de te lire, même un peu trop, tu nous fous le bourdon avec tes conneries exotiques: nous on hésite dressing dans la chambre ou pas ?
allez j'te chauffe un peu, parce que tu nous manques un peu : on a des jouets cassés et meimoun t'attend!
portes toi bien, gare aux femmes!!!
bouzbouz anne b
Howdy,
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BON DEPART
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