mardi 11 décembre 2007

Stigmates

Lorsque je travaille intensément sur un chantier, et parce que je ne suis ni très méticuleux, ni maniaque, je récolte toujours un certain nombre de bobos sur les mains. Une cloque, une écorchure, un pinçon, une coupure, je suis souvent très surpris de leur expressivité. Je dois dire que je n'ai jamais ressentis l'envie de me marquer volontairement par un tatouage ou un piercing quelconque, mais ces petites cicatrices m'inspirent toujours bien des réflexions. N'y voyez pas non plus le moindre penchant masochiste, mais je suis fasciné par la trace d'une action imprimée à la matière d'autant plus lorsque c'est dans ma propre chair, fût-ce au prix de quelques instants douloureux. Je vous ai dit je crois de quelle manière j'envisageais l'accident. Lorsqu'il influe de façon significative sur mes cellules épithéliales, j'encaisse l'information et observe le processus de réparation et la sensation associée. Évidemment je parle de bobo, et je n'ai fort heureusement jamais été remis à ma place avec violence et gravité, je reste trop prudent pour ça. J'ai gardé en mémoire une histoire de samouraï et d'épine dans le pied que me racontait mon frère, j'ai pris la chose très au sérieux, et depuis je m'efforce d'être attentif. Cela dit, j'ai beau être matinal, j'ai mal ! Je finis toujours par être le récepteur d'une information retour de la matière. Action-réaction, me voilà blessé.


Depuis que je suis à Douala je fais extrêmement gaffe au moindre bobo, d'abord parce que c'est une habitude, ensuite parce qu'un laxisme en la matière ici, pourrait me coûter très cher. Cependant je soude en tee shirt suspendu à une branche. J'ai chaud et la veste est difficilement supportable. Alors je me fais une raison et je cherche juste à passer entre les gouttes. Quelles gouttes ? L'électrode en se consumant sous l'effet de la puissance de l'arc électrique ressemble à un cierge magique que l'on met sur les gâteaux d'anniversaire. C'est très joli et ça étincelle comme un feu d'artifice. Sauf que là les petites étincelles sont fourrées de gouttelettes de métal en fusion... Le bras qui tient l'électrode et sa main, la droite, sont plus épargnés, c'est l'avant bras gauche qui est au front. Au bout d'un certain temps, j'ai le bras d'un juncky en phase terminale. Avec la sueur et la saleté les brûlures s'infectent localement en de gentilles purulences juvéniles. Du coup chaque soir, je me soigne consciencieusement, et chaque petit bobo reçoit des soins particuliers, si bien que je guéris rapidement. Seulement depuis quelques jours mon corps me dis arrête. Il y a trop d'impacts et les attaques bactériennes multiples et répétées ont mis tous les voyants au rouge. Les messages de douleurs irradient de toutes parts, certaines brûlures ne me plaisent pas du tout. Je redouble d'attention et je me soigne copieusement.


Celle ci je ne l'avais d'abord pas remarquée. Mon gant percé a laissé entrer une perle fine qui est venue orner la deuxième phalange de mon annulaire droit. Même pas mal. L'impact est tout petit et ne semble pas avoir atteint le derme. Pendant 2 jours au moins je n'y prête pas attention. Au troisième jour voilà qu'il se réveille, et me signale sa présence par un rougissement non timide, et une douleur sympathique. Je traite. Quatrième jour : la rougeur s'est transformée en bourgeon, mon doigt a gonflé la sensation est étrange ce n'est pas très douloureux mais ça ne ressemble pas aux autres stigmates. Je traite. Cinquième jour : mon doigt a maintenant une grosse excroissance sur le flanc gauche à quelques millimètres de la première articulation. Toujours pas vraiment mal, mais ça m'inquiète. La bétadine ne semble plus faire effet et je me sens au bout de mes compétences médicales, j'en parle autour de moi. Marilyn, qui est une mère, appelle Charlotte, une de ses amies. Elle me dit de passer à la clinique. Charlotte est gynécologue. Elle me reçoit. Elle envisage la grosseur, me dit qu'il doit s'agir d'un petit bout de métal resté à l'intérieur, qu'un abcès doit être en train de se former mais qu'il n'est pas mûr. Je dois faire un pansement à l'alcool et revenir la voir, si ça ne s'arrange pas elle me mettra sous antibios. Le lendemain le doigt a triplé de volume et la bosse s'étend à présent sur toute la phalange. Je pense à l'Afrique, à mon travail, à la gangrène et à ce mal qui se développe sur mon doigt. Un de mes compatriotes du moment me dirait dans le texte : "C'est comment ? Ah mais dis donc, quel est ce doigt là ?"; (Douala, warf !).
Je me dis que Charlotte est peut être pointue question rééducation du périnée mais que si ça se trouve elle n'entend rien aux grossesses de l'artiste. Je montre à Marilyn qui, l'air effrayé et d'un mouvement de recul à la vue de la chose, me conseille l'aloès. C'est une feuille de plante grasse épaisse et juteuse, qui ressemble à certains cactés, avec de petits pics sur les bords. Je la coupe en deux dans le sens de l'épaisseur et une sève sirupeuse, collante, parfaitement transparente en sort. Une sorte de silicone, en plus liquide. Je badigeonne l'oedème. D'abord ça me pique un peu et puis ça calme le lancement. Je dors avec la main sur l'oreiller. Je dors bien. Au matin mon doigt est maintenant comme un knacki, l'enflure s'étend de l'ongle à la deuxième articulation de sorte que l'on ne distingue plus ni ride, ni pliure de l'épiderme, c'est lisse et chaud comme un beignet. La surface de la peau tendue laisse apparaître, comme par transparence, plusieurs tâches pigmentées. Des blanches et des noires. Ce sont les noires qui m'inquiètes, pourquoi penser à la gangrène ?
J'appelle Charlotte, il faut intervenir. Je prend une moto et fonce à la clinique, rue U.T.A. à Bonapriso, pas loin de là où je crèche. Charlotte regarde la chose..."Oh mais c'est bien, ça a mûrit, on va pouvoir inciser". Et moi, contrairement à ce que vous pourriez penser, je me dis "oh oui incise !". Étant très à l'écoute de ce petit bobo devenu grand, j'ai appris à l'aimer et je sais qu'il est mûr. Seulement je dis "euh...tu n'aurais pas un gel anesthésiant, juste pour un petit traitement localisé ?". "Non et puis ça mettrai 20 minutes à agir", "ah bon d'accord, pas de péridurale". Eh bien figurez vous que j'ai été surpris de constater que dans cette région de l'anatomie : flanc gauche de l'annulaire droit, deuxième phalange, le système nerveux est relativement cool. Je dois dire que j'ai assisté à l'opération sans vaciller et sans même trouver la chirurgie désagréable. Je pense à Orlan. Je me dis que si j'avais eu ma caméra, j'aurai pu vous gratifier d'un reportage, le décors vaut le détour ! Elle coupe, prend des ciseaux et écarte la plaie pour former une incision en croix. Les humeurs s'écoulent, la pression libérée me soulage. C'est plus profond lui dis je. Elle coupe encore et atteint une zone blanche et dure, elle me dit que tu vois, c'est la fibrine, je lui dis que tu dis que quoi ? Elle me dit que tu vois, c'est la fibrine, je lui dit que ah bon ! Elle découpe les peaux mortes, nettoie la plaie, gratte la fibrine au bistouri...euh là ça fait juste un peu mal, mais seulement un peu. Ensuite elle me remet entre les mains de sa charmante infirmière qui nettoie le tout et me fais le pansement. On bavarde de son boulot. Je lui demande si ça va, elle me dit oh tu sais, je sors juste d'une césarienne, on était 2 dessus pendant deux heures, le bébé avait 2 tours de cordon autour du cou...Et ?... Et le bébé et la maman vont bien. Mais tu sais ici, toutes les femmes ont perdu un ou deux enfants...

Mon bobo va beaucoup mieux. Elle me met sous pyostacine, et me demande de passer 2 fois par jour, matin et soir pour refaire le pansement. C'est ma récréation, mon escapade en moto pour aller voir une jolie infirmière deux fois par jour, le fantasme non ? Mon doigt va beaucoup mieux. Le lendemain il avait totalement dégonflé et l'incision n'était qu'un trou de la taille de la braise d'une clope. Deux fois par jour elle me gratte la fibrine et m'oxygène la plaie, drôle de plaisir que je n'aurai pas même soupçonné. Puis la peau s'est décollée, et sans vouloir vous couper l'appétit, elle a pu m'éplucher tendrement le doigt comme on le ferait d'une pomme de terre cuite à l'eau. Les progrès sont impressionnants, et je ne ressens honnêtement pas de véritable douleur. Du côté de l'arbre le travail n'a d'ailleurs fait que s'intensifier et mon doigt ne m'a pas vraiment handicapé. Je passe de l'arbre à la clinique comme on passe du cour de math au cour de bio quand on est au lycée. Je prend des leçons.


La structure de métal est achevée et nous travaillons à présent à l'intérieur de Doual'art à la confection des feuilles de verre. L'arbre est maintenant devenu une oeuvre collective et chaque jour nous travaillons à sept personnes. Il y a Yannick, Patrick, Stéphane, Manu, Anastasi, un autre Stéphane et moi. Francine, qui s'occupe du bar de Doual'art nous découpe des feuilles de plastique Nous occupons une grande partie de la galerie à côté de Lucas Grandin qui réalise son installation sonore. Un zébu à longues cornes va tracter dans toute la ville une charrette de sa fabrication. La traction animale entraîne, par un mécanisme simple de courroies, 10 platines disques customisées. 6 piles d'appareil photo alimentent l'amplification et ce manège de 33 tours à vitesse bovine variable, balance alors des sons d'animaux, oiseaux, lions, éléphants...De grand cônes d'aluminium finissent d'augmenter le volume et la portée des speakers. Figurez vous que cette installation low tech est sponsorisée par la seule compagnie pétrolière Camerounaise Tradex, compagnie qui visiblement a de l'humour pour financer une installation qui fonctionne à l'énergie animale.


Le SUD a commencé Dimanche, et les étrangers affluent maintenant chaque jours, je n'ai jamais vu autant de blancs depuis mon arrivée, et lorsque le troupeau se balade en ville c'est un évènement, il faut dire que Douala ne regorge pas vraiment de touristes, et que l'idée même de faire du tourisme ici est quelque chose de compliqué. Certains des nouveaux arrivants l'on vite appris à leur dépend. Dimanche matin il y a eu le lancement en grande pompe avec des gens importants comme le consul des Etats Unis, l'ambassadeur des Pays Bas, la déléguée du gouvernement à la culture,le maire de Douala 1er... En fin d'après midi nous avons inauguré la nouvelle liberté de Sumégné, dont je vous ai déjà montré des images. Lundi matin nous avons assisté au projet Bendskins, de Lionel Manga et Philippe Mouillon, ils ont récolté des interviews de bendskiners et tiré une petites phrases pour chacun d'entre eux. Cette phrase a ensuite été brodée sur tee shirt, et hier chaque moto taximen a reçu son tee shirt et un peu d'argent pour l'essence. Il y en avait tout de même 250, ce qui a créé un joyeux bordel. Fiers comme des papes, pour une fois que l'on pense à eux et qu'on leur rend hommage, ils ont défilé dans le quartier occasionnant un bon désordre artistique. En fin d'après midi à l'autre bout de la ville : quartier Madagascar, inauguration des 9 notables, un autre travail de Sumégné. Ce matin c'est au tour de Lucas Grandin et de son zébu de défiler dans la ville...seulement voilà, il n'y a pas que pour l'arbre que les problèmes se posent. Après de multiples rebondissements et pas mal d'argent dépensé, 2 bergers ramènent un zébu. Les 2 énergumènes sentent la chèvre à 20 lieues et sont aussi étranges que leur animal. Le zébu, lorsqu'il n'est pas en troupeau, s'effraie vite, nous approchons l'animal avec Lucas, et celui ci nous charge sans autre forme de procès. Conclusion : impossible d'utiliser ce bestiaux pour trimbaler la charrette de Grandin, le taureau tuerait des gens au passage. Après encore bien des rebondissements l'affaire se termine non sans autres difficultés avec un changement d'espèce. Le bovin s'est transformé en équidé, c'est moins majestueux que le zébu à longues cornes mais ça marche. Le défilé a lieu au milieu d'un embouteillage monstre, Lucas est content. Ce soir j'assiste à un récital lyrique pour blancs friqués, une fois n'est pas coutume, le projet m'intéresse. RdV à 19h30 dans une rame de train qui emmène les invités à la gare où aura lieu le concert, c'est Stefan qui organise, je le connais un peu, c'est sa soeur qui va chanter et je suis curieux de voir ça, en attendant mon arbre se termine doucement.

L'inauguration est prévue Jeudi à 17h00, tout sera prêt.


A bientôt


Frédéric

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Top !!! Tu auras tes scarifications maintenant. Bonne inauguration.