lundi 3 décembre 2007

L'arbre de la palabre

Ca y est !, j'ai pris pied. La palabre avait fait long feu et il était temps de lui faire son arbre. Pour l'instant ce n'est pas l'arbre à palabre, non, c'est plutôt l'arbre de la palabre, nuance, mais de jour en jour il se transforme et mûrit, j'y travaille. Et je parie même que d'ici peu, on pourra bien le nommer. C'est une affaire de mutation, de mouvement...

Ici à douala la circulation est anarchique, les routes sont défoncées. Il y a plein de taxis partout, des toyotas jaunes, il suffit de lever le bras et de donner le bon point de repère dans la ville, et pour 200 balles CFA, le type vous y emmène dans une ambiance toujours pittoresque. Il y a aussi les bendskiners, pour le même prix, ils vous prennent en passager à l'arrière de leur moto chinoise et vous conduisent sans casque et à vos risques et périls, aux quatre coins de la cité. Il y a beaucoup d'accidents surtout avec les 'bens'. Comment dire ? Lorsqu'il y a un embouteillage et que ça ne passe pas sur 2 voies, on en créé une troisième quitte à ce que ce soit celle des gens d'en face : cas de force majeure. Au carrefour, le plus malin ou le plus rapide passe le premier, ou au pire il casse. J'ai vu un sémaphore vert et rouge à la fois. Comme il y a d'énormes cratères dans la chaussée, on peut rouler aussi bien de droite que de gauche et il n'est pas rare de se trouver nez à nez avec un utilitaire défoncé rempli jusqu'à la gueule de passagers, ou coincé en bendskin sur le pont du Wouri entre un grumier en panne et un porte conteneur. Seulement je me suis risqué à penser qu'il y a quelque chose qui marche là dedans. Il y a énormément de frottements, et encore beaucoup plus de dégats colatéraux, mais il y a quelque chose qui marche là dedans. La population qui évolue dans les villes du monde les plus "développées", obéit à des règles, disons à des rythmes, tout à fait binaires. Si vert=on; rouge=off alors j'avance, si vert=off; rouge=on alors je m'arrête. Pourtant le rythme cardiaque lui même est...comment dire...syncopé. Ce que je vois ici à Douala est d'abord bordélique, certes, mais tout juste après, lorsqu'on y prête attention : syncopé. C'est que les gens se parlent, les fenêtres des taxis non climatisés, sont ouvertes et l'air y est bizarrement respirable; la voie des automobilistes, c'est d'abord leur claxon. Le parisien nerveux pourrait faire un stage à Douala pour y apprendre les mille et un messages possibles que l'on peut adresser à autrui avec son claxon, un véritable langage vous dis-je, une musique. Quitte à enfoncer une nouvelle fois des portes ouvertes, n'ayons peur de rien, je dirais qu'il y a du bon à l'accident. Et ce, en invoquant de façon irréprochable le miracle statistique de la vie. L'institut Ipsos en personne, n'aurait jamais parié un kopek sur la possibilité de votre venue au monde cher lecteur, elle était si peu probable qu'il ne l'aurait sans doute pas même détectée. Miracle de la vie ou horrible accident ? Chacun dira, chacun vivra, mais moi je sens bien que la société que nous propose notre actuel chef "Nicolas le Bref"(© Lionel Manga), ne calcule pas ses mises sur d'aussi faibles probabilités. Jusque là tout va bien, il n'y a guère de surprises... sauf que l'Humanité toute entière repose sur cet improbable grain de sable, ce pépin (le Bref).
Mais revenons à la circulation, n'y aurait il pas moyen de circuler organiquement dans une ville moderne, sans avoir à déplorer des milliers de morts atroces, ou sans avoir à déployer des moyens néo-hitlériens pour térorriser, sécuriser et moutoniser l'ensemble de la population, pour la mettre au pas...de la machine ? En Afrique la machine a été tellement triturée qu'elle en devient humaine comme les sculptures de Depoutot, les routes défoncées ont le mérite de modérer considérablement la vitesse et on notera au passage que les accidents les plus graves se produisent sur des routes neuves où l'on roule vite. N'y aurait il pas moyen d'inventer dans ces contrées aux fortes précipitations des routes poreuses qui laissent la terre boire son eau et la racine des arbres respirer, et qui reconsidère le feeling du déplacement urbain ? N'y aurait il pas un moyen de profiter de cette forme si particulière de low tech pour réussir un mariage humain avec le high tech ? Encore faudrait il écouter ici et là ce que certains concerts de klaxons ont à nous dire.

Je veux vous dire, tel le phénix, que je reviens de l'Hadès, il n'a jamais été question de s'arrêter sur un avortement et mes racines ce sont bel et bien plantées. Certains esprits m'ont mis à mal et ces démons ont eu le dessus sur mon opiniâtreté cependant qu'heureusement certaines forces opposées et bien veillantes à mon egard, me protégeaient et me guidaient vers l'issue de ce royaume. Me voici donc planté à Bonanjo, vous savez comme Schwarzenegger dans Terminator, à poil, l'air ahuris au milieu d'un terrain vague. Enfin le terrain vague dans le film, il se transforme vite en un jean, des bottes, un blouson de cuir noir, des Ray Ban et une Harley. Moi je suis pas Terminator, même si j'en ai eu une ou deux fois le regard la semaine dernière, et que je pèse aussi 2 tonnes de ferraille et 3 ou 400 kg de silice. Pour le terrain vague, y'a changement de décors, vous avez vu Bonambapé, voici Bonanjo. A ma gauche :"la pagode",(de dos à contre jour) ancien palais des rois Bell, à ma droite leur tombeaux (eh oui ! l'Hadès n'est jamais loin), en fond de scène un préfabriqué, jolie moisissure urbaine venue se développer à l'arrière de la cour d'Appel, ancien palais de justice. Cette structure organique qui abrite de nombreux "squatters", est vouée à une mort certaine mais comme toujours dans le cas des champignons, on ne sait jamais trop combien de temps ça dure. Dans le coin un petit passage que j'adore et qui s'enfonce sous les racines puissement phalliques d'une plantuche, dont j'ignore le nom, mais qui ressemble à ce que chacun a dans son salon mais en 20 fois plus gros. Une fois passé sous les feuillages de cette ardente botanique, et non sans avoir salué les habitants du lieu, vous tournez à angle droit et longez le jardin de Doual'art pour déboucher place du gouvernement à quelques encablures de l'endroit où Rudolph Douala Manga Bell a payé de sa vie le genre de palabre pratiqué par l'Allemagne coloniale de 1914.
Vous savez sur cette place, face au Général Leclerc, il ya un monument au soldat inconnu tombé durant la première guerre. Sur un puissant socle de pierre blanche, une statue de bronze représente un poilu, un fier et brave soldat qui porte la moustache haute sous un nez rectiligne, et qui regarde le ciel de l'avenir. Mais où est donc son pote ? Qui et à qui rend on hommage ici à Douala, Cameroun ? "C'est nous les africains qui revenont de loin...". C'est d'ailleurs un peu malicieux, mais non sans respect que j'avais proposé de mettre mon arbre en plein milieu du parc, dans l'axe de ce monument, à côté des acacias et des bancs publics.

Mais passons cet épisode et revenons à la visite. L'arbre n'a pas poussé sur un rond point, il s'est clairement trouvé un arrière, une histoire intérieure sans grand tambour ni ronflement. Un de ces délaissés urbains dont la sève est à redécouvrir (c'est d'ailleurs devenu la spécialité d'une flottille d'archi-pirates). Pourquoi pas plonger mes racines de métal dans le sol de la ville et puiser, grâce à ce conducteur, l'énergie fossile dans le goudron de la route ? Il ne resterait plus qu'à isoler le système par une peau glycérique bleue, et à pyroliser le tout en passant les rayons du soleil au caléidoscope chromatique. Ben ouais, c'est simple ! Y'a le fer, la silice, le pétrole et la lumière du soleil, moi j'dis Bingo, ça devrait pousser !Alors d'abord, tel le sourcier, j'arpente le terrain mais contrairement à lui je m'implante dans l'endroit qui me semble a priori le moins propice. Mais je me rends vite à l'évidence : il n'y a que là. Alors je précise ma recherche, un rond de pelouse de 2 mètres de diamètre laissé vierge pour un hypothétique arbre en pot ne saurait suffir aux puissantes racines du Bongongui. Qu'à cela ne tienne, je repère les fissures du sol déjà colonisée par des brins d'herbes opportunistes et je pique. Une fois, deux fois, dix fois, vingt fois. Le sol est dur, la dalle de béton est épaisse et nous devons élargir les fissures au pic, par contre l'implantation est quasi irrémédiable, j'aurai besoin de moins d'ancrages. Je modifie l'architecture des racines en conséquence. Au lieu d'en baliser le périmètre par des centaines de pieux comme on l'avait fait la première fois en sol moins stable, on structure une âme centrale arrimée d'une part aux quelques pieux et assise de l'autre sur un périmètre simplement posé à même le sol. Yannick, qui était déjà là à Bonambapé a accepté de suivre l'aventure avec moi à Bonanjo. Tout les deux nous réassemblons rapidement, mais dans ordre complètement différent, les éléments du puzzle rescapé de Bonabéri. On est vite rejoins par un deuxième soudeur, Patrick, qui s'occupe de relier le tout par des centaines de nervures. A nous trois, nous mutons vite les racines en souche et la souche en tronc alors que déjà le tronc appelle les branches. Vient ensuite l'usure et l'apreuve de la patience. A mesure qu'un organisme grandit et qu'il s'élève du sol il réclame de plus en plus d'énergie. Avant d'être autonôme, c'est nos calories que l'arbre consomme et il est gourmand, cool je tape dans mes graisses ! Lorsqu'il s'agit de défier la pesanteur et de s'élancer en porte à faux, le challenge devient sérieux. Nous sommes maintenant à 5 mètres du sol et j'éprouve en la faisant ma structure de réseaux.
Les structures simples sont magnifiques, j'adore ! Mais comme toutes les races pures, elles sont fragiles et à la moindre défaillence de l'un des composants c'est la catastrophe, regardez les Twins. Ici chaque élément est faible relativement à l'ensemble, mais personne ne joue jamais solo et lorsqu'il y a défaillance de l'un des composants, il y a toujours un autre chemin pour soulager la charge. Ce que ça veut dire clairement c'est que j'improvise un maillage 3D approximatif, que le moindre rayon de soleil, saut d'humeur ou sifflement d'oiseau peut modifier de manière substantielle. Il n'y a pas de plan mais il y a eu maquette et la maquette était une répétition miniature de la recette que j'applique aujourd'hui à l'échelle 1. Evidemment, je l'avais vu en maquette, il y a des zones d'ombres surtout au niveau des branches, mais les branches c'est la strucure du feuillage et le feuillage en miniature c'est la limite de l'exercice maquette. Alors, j'improvise. Je vous parlais tantôt de jazzmen et de buff, la comparaison ne me paraît pas idiote, une ligne d'accords, et on verra ce qu'on aura à dire selon la technique et le feeling du musicien, l'époque ou le temps qu'il fait. Voilà que de trois lascards nous passons à 5. Manu et Stéphane nous rejoignent ils seront d'abord lavandières de tessons sous l'acacia, décapsuleurs de peaux de phares au même endroit, puis peintres en grillage sur le préfabriqué. Demain ils composeront mes feuillages de vitraux.
A l'heure qu'il est la couronne des branches supérieures est terminée et nos deux compères, après avoir nettoyé 10 sacs de verre pilé, et 3 pleins sacs de peaux de phares, après avoir recouvert d'un bleu clair seigneurerie les racines jusqu'aux dernières soudures, sont devenus singes et jusqu'à la nuit tombée, ils ont peints les nervures des feuilles prêtes à recevoir demain les premiers carreaux. Comment dire ? Nous sommes Dimanche à Douala et le soir tombe, il fait chaud et le moindre effort vous transforme en fontaine, il y a là 6 personnes autour d'un arbre de métal bleu. 3 sont dans l'arbre, aux plus hautes branches. A gauche Yannick soude les dernières nervures inondant le quartier de lumière bleue. Au milieu Stéphane, pieds nus, peint l'extrémité d'une feuille assis dans le vide. Sur la droite Manu, il est à la même altitude que les autres mais lui est au bout du cou d'une échelle girafe. Il peint. Sous lui, Patrick soude les racines et se livre, avec Yannick à un duel d'arcs lumineux. Anastasi peint des mètres linéaires de grillage en bleu caraïbe seigneurerie. Plus loin sur le bitume 4 mètres carrés de peaux de phares sèchent, ce sont mes rubis ceux que je ne pouvait pas trouver chez Socaver. Moi, je tords les barres de fer anticipant pendant la soudure de la précédente sur leur forme et leur position. Tout au feeling, c'est la devise, j'orchestre la manoeuvre et je connais la partition parcoeur, ça tombe bien, elle n'est pas écrite. Entre temps, le tronc a été garni de gros joyaux de verre, mes émeraudes. L'allure générale est là, l'arbre est en train de prendre vie, je vais pouvoir passer au dernier gros défit: les feuilles, lorsqu'elles seront là, la sève pourra se mettre à circuler d'elle même et j'aurai rempli ma mission.
A très bientôt

Frédéric

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ca fait du bien de voir des images de ce pour quoi tu es en déplacement: Le travail de sculpteur. La palabre a servi et c'est tout ce qu'on pouvait te souhaiter. Profite, c'est maintenant ou jamais!
Charles A.
Bien vu la structure des racines.

Anonyme a dit…

le rôle des artistes est de faire bouger les frontières mentales.
Samira MAKHMALBAF